Les baux commerciaux et la crise actuelle : Le locataire commercial peut-il ne plus payer son loyer ?

Les baux commerciaux et la crise actuelle : Le locataire commercial peut-il ne plus payer son loyer ?

Il y a 4 mois personne n’aurait écrit pour s’interroger sur cette question, en invoquant la force majeure ou le fait du Prince. Si je l’avais fait, à l’époque, personne ne m’aurait d’ailleurs sans doute lu …

 

Cette question est néanmoins au cœur des préoccupations de nombreux bailleurs et de nombreux locataires. Les premiers, constatant les défaillances de leurs locataires, se demandent comme ils vont faire face notamment à leurs échéances hypothécaires. Les seconds, voyant leur chiffre d’affaires diminuer drastiquement ou même être réduit à néant, s’interrogent sur leur survie et leur capacité à payer notamment leurs loyers.

 

1.-  Il y a eu un tollé quand de grands groupes internationaux, qui n’ont pas de réels problèmes de liquidités, ont annoncé qu’ils allaient cesser de payer leurs loyers. [i]  On a entendu certains politiciens, d’une part, critiquer ce comportement et, d’autre part, demander un geste de la part des bailleurs.  Certains bailleurs ont déjà accepté soit un étalement des loyers, soit une suppression totale ou partielle du loyer durant la période de confinement.  La question est d’autant plus cruciale que l’économie n’est pas un moteur qui peut atteindre son plus haut régime dès le re-démarrage.

 

Les seuls qu’on n’a pas entendu ce sont les juges. Or, ce sont eux qui vont devoir dans les prochains mois trancher les litiges entre bailleurs et locataires, tentant de trouver l’équilibre exact de la balance de la justice.  Or, ces juges vont devoir trancher aussi en droit.

 

2.-  Il est donc utile de s’interroger sur les arguments juridiques que les locataires pourraient soulever pour exciper du paiement de leurs loyers durant le confinement.  A l’heure actuelle, il n’y a sans doute pas encore une bonne réponse mais bien des pistes à explorer et, bien entendu, une analyse au cas par cas s’imposera.

 

3.-  On partira du constat que le Gouvernement a ordonné la fermeture de la majorité des commerces, actuellement jusqu’au 19 avril 2020 [ii].  Sur cette base le locataire pourrait-il trouver des arguments juridiques pour justifier le non-paiement de ses loyers si son commerce est fermé ?

On pourrait tenter de trouver une réponse en arguant de la force majeure et de la théorie des risques. Certains évoquent aussi la théorie de l’imprévision ; mais on ne s’y attardera pas car elle a été rejetée par la Cour de cassation jusqu’à présent.

3.1.-  La force majeure – ou cas fortuit – est une cause classique d’exonération des obligations. Lorsqu’elle existe, le débiteur est libéré de son obligation contractuelle.  Or, doctrine et jurisprudence assimilent l’ordre de la loi (le fait du Prince) à un cas de force majeure. Sous cet angle donc les arrêtés ministériels ordonnant la fermeture des commerces constituent un cas de force majeure.  Effectivement ces arrêtés mettent le bailleur dans l’impossibilité d’assurer au preneur une des obligations majeures dans son chef, à savoir assurer la jouissance paisible (découlant de l’article 1719 du Code civil).

Si on se contente de cette explication fondée sur la force majeure, il est patent que le locataire doit continuer à payer son loyer.  En effet, c’est le bailleur qui est confronté à la force majeure et est donc libéré de son obligation de fournir la jouissance paisible.  Quoiqu’en disent certains en assimilant force majeure et exception d’inexécution, le preneur de son côté n’a rien qui l’empêche de payer son loyer. [iii]

Si le locataire veut tenter d’éviter de payer son loyer il devra se raccrocher sans doute à deux autres principes du droit des contrats, à savoir la théorie des risques et dans une moindre mesure la perte de la chose louée.

3.2.-  La théorie des risques énonce que l’extinction de certaines des obligations du contrat par force majeure entraîne la dissolution du contrat lui-même (découlant d’un principe général de droit reconnu par la Cour de cassation, arrêt du 27 juin 1946).  Ces risques sont à supporter par le débiteur de l’obligation et donc, dans notre analyse, par le bailleur puisque c’est lui qui ne peut plus assurer à son locataire une jouissance.

Sur cette base donc le locataire pourrait argumenter que son loyer ne doit plus être payé en tout ou en partie (ex. si l’exploitation est simplement devenue plus difficile – ex. réouverture limitée durant le déconfinement) et ce bien entendu pro rata temporis par rapport à la durée de la fermeture.

Bien entendu, il faudra encore étudier chacun des cas in concreto puisque le Gouvernement a annoncé une série d’indemnisations couvrant ce même préjudice d’impossibilité d’exploiter.  De même certains commerçants ont ou pouvaient diminuer l’impact de l’obligation de fermeture. On pensera ainsi au secteur horeca qui pouvait poursuivre partiellement ses activités via les livraisons à domicile ou le take-away.

3.3.-  On ajoutera aussi qu’il est indispensable pour tout commerçant de relire attentivement son contrat de bail car – tout à fait légalement – le contrat peut mettre les risques de force majeure à charge du locataire.

3.4.-  Certains veulent aussi ajouter une troisième argument, à savoir la perte de la chose par cas fortuit.  De fait, l’article 1722 du Code civil évoque la perte de la chose qui peut-être totale ou partielle, matérielle ou juridique.  Il faut remonter loin dans le temps pour s’y raccrocher mais il est vrai que certains juges avaient accordé des réductions temporaires de loyers en raison des réquisitions durant la guerre.

 

4.-  Conclusions : On aura donc compris qu’il y a bel et bien des arguments juridiques que les locataires pourraient invoquer pour refuser de payer en tout ou en partie leurs loyers durant la période de fermeture obligatoire.  Une analyse au cas par cas s’imposera et la générosité des aides gouvernementales en faveur des locataires permettra sans doute aux bailleurs de déterminer en quelle mesure ils pourront être payés de leurs loyers.

 

Gilles OLIVIERS

Avocat associé RENSONLEX

 

[i] L’Echo, 26 mars 2020

[ii] Voyons les arrêtés ministériels ordonnant la fermeture des commerces parus au Moniteur belge des 18 et 23 mars 2020.

[iii] On relèvera que certains, à tort selon nous, affirment que le locataire serait aussi libéré de son obligation du chef de cette force majeure.  Ce raisonnement est fondé cette fois sur la caractère bilatéral du contrat de bail, ce qui induit que si le bailleur ne peut pas fournir la jouissance le preneur ne devrait pas payer le loyer étant la contrepartie de celle-ci.  Voyons ainsi Syndic info 63, le Bulletin d’information de l’Absa, avril 2020.

 

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